De oude krantenlezer
De oude Krantenlezer
LE JEU
Dans des fauteuils fanés des courtisanes vieilles,
Pâles, le sourcil peint, I'oeil câlin et fatal,
Minaudant, et faisant de leurs maigres oreilles
Tomber un cliquetis de pierre et de métal;

Autour des verts tapis des visages sans Ièvre,
Des lèvres sans couleur, des mâchoires sans dent,
Et des doigts convulsés d'une infernale fièvre,
Fouillant Ia poche vide ou le sein palpitant;

Sous de sales plafonds un rang de pâles lustres
Et d'énormes quinquets projetant leurs lueurs
Sur des fronts ténébreux de poètes illustres
Qui viennent gaspiller leurs sanglantes sueurs;

Voilà le noir tableau qu'en un rêve nocturne
Je vis se dérouler sous mon œil clairvoyant.
Moi-même, dans un coin de I'antre taciturne,
Je me vis accoudé, froid, muet, enviant,

Enviant de ces gens Ia passion tenace,
De ces vieilles putains Ia funèbre gaîté,
Et tous gailIardement trafiquant à ma face,
L'un de son vieil honneur, L'autre de sa beauté!

Et mon cœur s'effraya d'envier maint pauvre homme
Courant avec ferveur à l'abîme béant,
Et qui, soûI de son sang, préférerait en somme
La douleur à Ia mort et I'enfer au néant!

 
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Georges Chelon